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Foto Manns Frèdèric , Miscellanea: Une tradition rabbinique réinterprétée dans l'evangile de Mt 22,1-10 et en Rm 11,30-32 , in Antonianum, 63/2-3 (1988) p. 416-426 .

En proclamant la venue du Royaume de Dieu, Jésus s'est in­séré dans la tradition d'Israël. C'est pour rassembler les brebis per­dues de la maison d'Israël qu'il est venu. C'est également a partir de l'héritage du judaïsme que les evangelistes ont défini la mission de Jésus. Paul, en particulier, s'interrogera sur le mystère de l'endurcissement d'Israël. Le Nouveau Testament relit l'Ancien à la lumière de la Résurrection de Jésus. Tantôt Ancien et Nouveau Testament témoignent de la même foi au même Dieu, tantôt l'Ancien Testament n'est qu'une préfiguration typologique du Nouveau1.

Lo judaïsme contemporain du Nouveau Testament ne dissociait pas la loi écrite de la loi orale. C'est ainsi que dans la version litur­gique du Targum de nombreuses aggadot furent introduites dans le texte sacré2. Par ailleurs, on assiste à une floraison de midrashim avant l'an 70s. Ces relectures de l'Ancien Testament témoignent du besoin d'approfondissement de la parole de Dieu.

Lorsque Matthieu écrit son évangile, la communauté chrétienne vit une période difficile dans ses rapports avec le judaïsme4. L'endur­cissement d'Israël sera commenté bien des fois dans l'évangile. Il est pas de notre propos de revenir sur « l'antijudaïsme » de Mat-Keu. En étudiant la parabole du festin nuptial, nous voudrions Mettre en lumière une des techniques employées par Matthieu dans Bn dialogue avec la Synagogue, à savoir l'ironie. Matthieu va réin-fcpréter une ancienne tradition juive et la retourner contre la Bnagogue. Paul reprendra la même tradition lorqu'il s'interrogera H° le mystère d'Israël en Rm 11,30-32.

I La méthodologie  que nous  suivrons  ne  sera pas  celle  de  la ^maktionsgeschichte.  Il existe un nombre suffisant  d'études  de  la Babole de Matthieu et de Rm 11,30-32, basées sur cette méthode5.

Bst plutôt la méthode  midrashique   que  nous   appliquerons   au pe6. Nous commencerons  par  analyser  la  tradition  rabbinique nous pensons être la source de Mt 22,1-10 et de Rm 11,30-32 selon ^méthode communément acceptée pour l'étude des textes rabbinies7. Après avoir isolé le noyeau primitif de la  tradition  juivenous chercherons à dater, nous pourrons comparer cette tradi avec la parabole de Mt 22,1-11 et avec Rm 11,30-32. Les ressemnces et les différences apparaîtront alors en pleine lumière.

ttude d'une tradition rabbinique sur le don de la loi

Parmi les nombreuses aggadot sur le don de la loi au Sinaï, il st une qui est demeurée célèbre. La tradition juive affirmait en que Dieu, avant de proposer la loi a Moïse, voulait l'offrir aux ns. Leur refus provoqua la colère de Dieu. L'unique partenaire nestait à Dieu était Israël.

Trois textes de l'époque des Tannaim ont orchestré cette aggadah. ous faut les passer en revue, i Mekilta de R. Ismaël, Ex 19,2 commente ainsi le don de la loi:

(A) «La loi fut proposée aux peuples du monde pour qu'ils ne puissent pas se plaindre contre la Shekinah en disant: « Si elle nous avait été proposée, nous l'aurions acceptée ». Elle leur fut

proposée, mais ils ne l'acceptèrent pas, comme il est écrit: « Yahveh est venu du Sinaï, pour eux depuis Séir, il s'est levé à l'horizon» (Dt 33,2).

(B)   Il se révéla aux fils d'Esaù le méchant et leur dit:  « Acceptez-

vous de prendre sur vous la loi? » Ils lui dirent: « Qu'y a-t-il d'écrit? ». Il leur dit: « Tu ne tueras pas ». Ils répondirent: « C'est l'héritage que nous avons reçu de notre père, comme il est écrit: Tu vivras de ton glaive » (Gen 27,40).

  1. Il se révéla aux fils d'Amon et de Moab et leur demanda: « Ac­ceptez-vous ma loi? » Ils lui dirent: « Qu'y a-t-il d'écrit? » Il leur répliqua: « Tu ne commetras pas d'adultère, comme il est écrit: « Les filles de Lot devinrent enceintes de leur père » (Gen 19,36), Comment pouvons-nous l'accepter? ».
  2. Il se révéla aux fils d'Ismaël et leur demanda: « Acceptez-vous ma loi? ». Ils lui demandèrent:   « Qu'y a-t-il d'écrit? ». Il leur

dit: « Tu ne voleras pas ». Il lui répondirent: « Notre père nous a bénis de cette bénédiction: « Il sera un onagre d'homme » (Gen 16,12), et il est écrit:  « J'ai été volé du pays (Gen 40,15) ».

(E)  Quand il vint à Israël — dans sa droite une loi de feu pour eux
(Dt 33,2) — ils ouvrirent la bouche et dirent: « Tout ce que
Yahveh a dit nous le ferons et nous écouterons ». C'est ainsi
qu'il est écrit: « Il se lève et la terre vacille, il regarde et fait
sauter les peuples (Ha 3,6) ».

Tout ce midrash n'est qu'un commentaire de Dt 33,2: « Yahveh est venu du Sinaï, pour eux depuis Séir il s'est levé à l'horizon ».

Puisque Yahveh est venu depuis Séir (identifié avec les fils d'Esaû) l'Ecriture admet qu'il a proposé la loi aux fils d'Esaû.

Puisqu'il a resplendi depuis le mont Paran (identifié avec l'habi­tat des fils d'Ismaël en Gen 21,21) il s'est présenté également aux fils d'Ismaël avant de venir au Sinaï.

Curieusement les commandements que Dieu propose aux païens ne sont autres que les préceptes noachiques. Selon le livre d'Hénoc éthiopien 6-10 les anges révoltés Semihaza et Azazel en apprenant aux hommes à faire des armes, à fabriquer des idoles et à se prosti­tuer, leur ont enseigné â rejeter les préceptes noachique.

Lorsque Dieu vient au Sinaï, c'est comme un époux qui sort à la rencontre de son épouse. Ex 19,17 avait dit que Moïse amena le peuple à la rencontre de Dieu. Israël est la fiancée qui accepte d'obéir

à l'époux:   « Nous  ferons  et nous  écouterons ».  Parce  qu'Israël  a obéi, Dieu s'est fiancé avec son peuple8.

Le douxième témoin tannaïque de cette tradition provient du Midrash Sifre Dt § 343:

  1. «Une autre interprétation: Yahveh vient du Sinaï» (Dt 33,2). Quand le Saint, béni soit-il, se révéla pour donner la loi à Israël, il ne se révéla pas seulement à Israël, mais à tous les peuples.
  2. Au début il alla vers les fils d'Esaù et leur demanda: « Acceptez-vous ma loi? ». Us dirent: « Qu'y a-t-il d'écrit? ». Il leur dit: « Tu ne tueras pas ». Us répliquèrent: « Toute la force de ces hommes (vient de là) et leur père est un meurtrier, comme il est dit: « Les mains sont les mains d'Esaù » et « Tu vivras de ton épée » (Gen 27,22.40) ».
  3. Il alla chez les fils d'Amon et de Moab et leur demanda: « Ac­ceptez-vous la loi? ». Us lui dirent: « Qu'y a-t-il d'écrit? ». Il dit: « Vous ne commetrez pas d'adultère ». Ils dirent: « Toute la force vitale est à eux, comme il est écrit: Les deux filles de Lot furent enceintes de leur père» (Gen 19,36).
  4. Il alla chez les fils d'Ismaël et leur demanda: « Acceptez-vous ma loi? ». Us lui dirent: « Qu'y a-t-il d'écrit? ». Il dit: « Tu ne voleras pas ». Us dirent: « La force de leur père vient de ce qu'il est un voleur, comme il est écrit: « Tu seras un onagre d'hom­me » (Gen 16,12).
  5. Il demanda à tous les peuples s'ils voulaient accepter la loi, comme il est écrit: « Us te rendent grâce, Yahveh, tous les rois de la terre, car ils ont entendu les promesses de ta bouche » (Ps 138,4).
  6. Tu peux entendre: « Us ont entendu et ont accepté ». L'Ecriture ajoute: « Avec colère, avec fureur, je tirerai vengeance des nations qui n'ont pas écouté» «(Mi 5,14). Non seulement ils n'ont pas écouté, mais ils n'ont même pas observé les sept commandements que les fils de Noé ont acceptés ».

Sifre Dt suit le même schéma que la Mekilta en ajoutant cepen­dant que Dieu s'adresse à tous les peuples et qu'il punit avec colère ceux qui n'ont pas accepté la loi et les préceptes noachiques. Il est probable que ce dernier élément soit basé sur une exégèse de Dt 33,29 puisque toute la tradition s'appuie sur Dt 33,2. En Dt 33,29

La tradition est répétée en Lev R 13,1 et Ex R 5,9; Sab 89ab; PRE 41.

le texte s'exprime ainsi: « ... Peuple que protège le Seigneur. Bouclier qui te sauve. Il est le glaive {Hereb) qui te fait triompher ». Le terme Hereb est associé a celui de Horeb, la montagne ou la loi fut don­née. Puisque les peuples n'ont pas accepté cette loi, VHoreb deviendra un Hereb pour eux. Un jeu de mots semblable se trouve dans le Midrash Tanhuma que nous analyserons plus loin.

Le Midrash Tannaim 211, lorsqu'il fait état du don de la loi au Sinaï, multiplie les interprétations. L'une d'entre elles nous retiendra:

« Une autre interprétation: Dieu vient du Sinaï. Il aurait dû dire: Il vient au Sinaï. Pourquoi dit-il: Il vient du Sinaï? R. Simon ben Yochai dit: Il vient du Sinaï pour juger les peuples du monde qui ont entendu la loi et ne l'ont pas acceptée, comme il est écrit en Mi 5,14: « Avec colère je tirerai vengeance des nations qui n'ont pas écouté ». La même conclusion s'impose du fait qu'il mentionne Séir et Paran. Moïse dit: Maître du monde, quand tu seras fâché, fais venir ta colère sur ceux qui n'ont pas accepté ta loi, comme il est écrit: « Il regarde et fait frémir les nations ».

La punition des peuples est mise en évidence dans ce commen­taire tannaïtique. Elle le sera également dans les midrashim plus tardifs, comme Tanhuma Dt 33,4:

« Yahvé vient du Sinaï » Ce texte nous enseigne que le Saint, béni soit-il, proposa la loi à tous les peuples, mais qu'ils la refusè­rent ... Ils n'ont pas voulu écouter. Michée vint et fit cette consta­tation: « Avec colère, avec fureur, je tirerai vengeance des nations qui n'ont pas écouté » {Mi 5,14).

Tanhuma, Nb § 7 explique ainsi les six noms attribués au mont Sinaï: « La montagne fut appelée Sinaï, car c'est là que les païens furent haïs {nsn'w) et jugés par Dieu, comme il est écrit en Is 60,12: « La nation et le royaume qui ne te serviront pas périront ».

C'est le jeu du mots entre Sinaï et Sana' (haïr) qui est exploité. L'accent est mis sur le châtiment des peuples qui n'ont pas accepté la loi du Sinaï.

Le commentaire rabbinique de Dt 33,2 contenait donc deux éléments primitifs: avant de proposer la loi à Israël, Dieu s'est adressé aux fils de Séir et aux fils de Paran. Puisque ces derniers ont refusé, ils furent punis. Le châtiment dont ils seront l'objet est déduit par un jeu de mots soit des termes Horeb-Hereb (glaive), soit des termes Sinaï-Sana' (haïr).

Le targum Jonathan Dt 33,2-3 relit cette tradition de façon oriale:

(v. 2) « Yahveh est apparu depuis le Sinaï pour donner la loi à son peuple, la maison d'Israël; l'éclat de la gloire de la Shekinah a resplendi depuis Gabla pour la donner aux fils d'Esaû, qui ne la voulurent pas accepter. Il a brillé depuis le resplendissement de la Gloire depuis la montagne de Paran pour la donner aux fils d'Ismaël, qui ne voulurent pas l'accepter. Encore une fois il apparut dans sa sainteté à son peuple, la maison d'Israël, et il avait avec lui une myriade de myriades de saints anges. Sa droite avait mis par écrit la loi et du milieu du feu ardent il leur donna la loi, les com­mandements.

(v. 3) Tout ce qu'il a fait connaître aux nations, c'est également par amour (Ihbb) pour son peuple, la maison d'Israël. Tous il les a appelés saints pour se tenir au lieu où réside sa Shekinah. Quand ils observaient les commandements de la loi, ils étaient menés au gré des nuées de la gloire...

(v. 5) C'est lui qui était roi en Israël. Quand se réunissaient les chefs du peuple, les tribus d'Israël lui obéissaient ».

Il faut noter que l'attitude de Dieu par rapport aux nations est é par son amour pour Israël.

Le targum Néofiti ajoute quelques éléments neufs:

« Yahveh est apparu à son peuple depuis le Sinaï pour donner la loi à son peuple, les enfants d'Israël; il a resplendi dans sa gloire sur la montagne de Gabla pour la donner aux fils d'Esaû. Lorsqu'ils y trouvèrent écrit: Vous ne serez pas homicides, ils ne l'acceptèrent pas. Puis il a brillé dans sa gloire sur la montagne de Paran pour la donner aux fils d'Ismaël. Lorsque les fils d'Ismaël trouvèrent qu'il y était écrit: Vous ne serez pas voleurs, ils ne l'acceptèrent pas...

N'était-il pas révélé et connu devant lui que ni les fils d'Esaii ni les fils d'Ismaël n'accepteraient la loi? Mais tout cela, c'est pour l'amour du peuple, les enfants d'Israël qu'il le fit... ».

Le targum fragmentaire reprend le motif de l'amour de  Dieu Israël au v. 3:  « Parce qu'il aimait son peuple (Ihbb) comme miliers d'anges ».

Même le targum Onqelos a conservé la mention de l'amour de pour son peuple lors que la tradition rabbinique avait souligné la vengeance de contre les nations qui n'avaient pas accepté la loi, le targum met en évidence l'amour dont Dieu a aimé son peuple en lui don­nant la loi.

Est-il possible de dater le terminus a quo de cette tradition? Seuls des parallèles datés permettront de résoudre ce problème.

Plusieurs textes de la fin du premier siècle font écho à la tradi­tion du refus de la loi par les païens, en particulier 2 Bar 48,40 et 4 Esd 7,17-24. Ces textes ne font état que de l'ignorance de la loi de la part des païens. Ils ne suffisent pas pour prouver l'ancienneté du commentaire de Dt 33,2. Il faut donc poursuivre la recherche.

Le Liber Antiquitatum Biblicarum du Pseudo-Philon, ouvrage qui date du premier siècle avant J.-C.9, présente un parallèle inté­ressant avec la tradition rabbinique:

« Le troisième mois de leur départ de la terre d'Egypte les fils d'Israël arrivèrent dans le désert du Sinaï. Dieu se souvint de ses paroles et dit: Je donnerai la lumière au monde. J'illuminerai les demeures, j'établirai mon alliance avec les fils des hommes et je glorifierai mon peuple plus que toutes les nations. Pour lui j'expo­serai les hauteurs éternelles qui seront une lumière pour eux et un châtiment pour les implies... Car si les hommes disent: Nous ne t'avons pas connu, c'est pourquoi nous ne t'avons pas servi, j'en tirerai vengeance pour avoir méconnu ma loi» (11,1-2).

Les deux éléments de la tradition rabbinique étudiée plus haut sont repris ici: la proposition de la loi faite aux païens et la puni­tion due a leur refus.

Il n'est pas impossible que le livre de Ben Sira 24,7-8 ait con­servé l'écho de la tradition du don de la loi. Ben Sira assimile cepen­dant la loi à la    Sagesse:

« Chez tous les peuples et toutes les nations j'ai régné. Parmi eux tous j'ai cherché en quel patrimoine m'installer. Alors le Créa­teur de l'univers m'a donné un ordre, celui qui m'a créée m'a fait dresser ma tente. Il m'a dit: Installe-toi en Jacob, entre dans l'héri­tage d'Israël ».

La Sagesse, après avoir cherché son repos chez les nations, s'instal­le définitivement en Israël.

Quant au thème du don de la loi à cause de l'amour de Dieu, on le trouve dans le Psaume de Salomon 9,8: « Nous sommes Je peuple que tu aimes... Car tu as élu la descendance d'Abraham parmi toutes les nations... Si tu as traité alliance avec nos pères, c'était pour nous ». Philon d'Alexandrie développe de son côté le thème de la miséricorde de Dieu pour Israël, malgré son péché (Spec Leg, 4,18; Vit. Mos 1,72-86.198;  Praem  117).

Si tous les parallèles apportés ici sont valables, il est permis de dire que le terminus a quo de la tradition rabbinique et targumi-que remont au second siècle avant J.-C. Il est donc possible de pire un pas de plus et de la comparer aux textes de Mt 22,1-10 et Km 11,30-32.

2. Matthieu 22,1-10

Avant d'enterprendre la comparaison entre Mt 22 et la tradition rabbinique du don de la loi au Sinaï, il faut jeter un bref regard 'ensemble sur la parabole,  sans  répéter  ce  que  les  grands   com­mentaires de la parabole ont déjà mis en évidence 10.

On a dit bien des fois que le recours au genre littéraire de la larabole distinguait les discours de Jésus de ceux de l'église u. Mai­ne ce critère d'historicité il  faut tenir présents à l'esprit plusieurs bntextes superposés au sein desquels la parabole a été accueillie: B cadre du Jésus  de l'histoire,  le  contexte  ecclésiastique  au   sein Biquel la parabole fut fixée  et  le  contexte  littéraire   de  l'évangile jui la situe dans un ensemble structuré de la narration évangélique. Le thème de la parabole du festin nuptial est connu: un person­nage royal prépare un repas de noces pour son fils.  Il envoie  ses serviteurs appeler les invités. Ces derniers refusent. Le premier re­fus est suivi de l'envoi d'autres serviteurs qui connaissent le même sort que premiers avec, en plus, un mauvais traitement. Le maître du festin se met alors en colère. Il dépèche ses troupes et fait périr les meurtriers et incendier la ville. La parabole se termine par l'invi­tation de faire entrer dans la salle du festin « tous ceux qu'on peut I trouver ». La salle est alors remplie.

A cette première parabole Mt en a ojuté une autre. En effet les versets 11-13 du même chapitre constituent une parabole dont la terminologie et la pointe sont différentes de ce qui précède. Un pa­rallèle rabbinique de cette parabole est donné dans le commentaire de Billerbeck12. Enfin, le verset 14 semble être la conclusion des versets  1-10 plutôt  que des  versets   11-13.

Revenons â la parabole de Mt 22,1-10. Nous avons déjà vu que le thème du don de la loi est souvent symbolisé par l'image des noces 13. On pourrait donc dire que le thème fondamental de la para­bole est celui du don de la loi à Israël. Les deux invitations faites à Israël se soldent par un refus et des violences faites aux messagers du maître des noces. Sa colère est enflammée et il décide de détruire leur ville et d'inviter les  païens,  « tous ceux qu'on peut trouver ».

Si nous comparons la parabole de Mt 22,1-10 à la tradition juive du don de la loi, nous verrons que les situations sont inversées:

Tradition rabbinique                           Parabole de Mt

    Deux invitations faites aux païens          Deux invitations faites à Israël

    Destruction des païens                         Destruction de leur ville

    Invitation faite à Israël                         Invitation faite aux païens

Matthieu qui écrit probablement après la destruction de Jéru­salem a réinterprété sa source. Il a recours au procédé de l'ironie ".

La tension qui existe entre la communauté chrétienne et la Synagogue a amené Matthieu à mettre l'accent sur les différences qui existent entre les deux groupes. Dans les chapitres 5-6 l'ensei­gnement de Jésus est présenté de façon antithétique: « On vous a dit... Moi je vous dis ». Le vin nouveau ne peut pas être contenu dans des outres anciennes. On le voit donc, si dans de nombreuses citations de l'Ancien Testament Matthieu insiste sur les prophéties d'accomplissement, il n'en met pas moins en relief la différence qui existe dans l'enseignement de Jésus et celui des rabbins.

3. Romains 11,30-31

B. Reicke15 fut le premier à proposer le targum Dt 33,2 comme arrière-fond de Rm 11,30-31:

(v. 30) « Car de même que jadis vous avez désobéi à Dieu et que maintenant  vous   avez   obtenu  miséricorde,   à  la   suite   de   votre désobéissance,

(v. 31) de même  eux,  maintenant,  ont  désobéi,  à  la  suite  de  la miséricorde exercée envers vous, afin que, maintenant, eux aussi obtiennent miséricorde ».

La structure parallèle de ces deux versets a été notée bien des fois16: tous les éléments s'y répondent point par point. Paul emploie le mot «désobéissance» en 11,30-31 pour caractériser la situation des païens avant la venue du Christ. Généralement Paul réserve le terme pour qualifier l'attitude des juifs ". D'où vient cette insistance sur la désobéissance?

Si Paul commence par parler de la désobéissance des païens, il évoque indirectement l'obéissance d'Israël. Comment faut-il compren­dre cette désobéissance des païens? Il semble que Paul se réfère ici à la tradition juive du don de la Loi qui mettait en évidence le refus des païens avant de souligner l'obéissance d'Israël.

Autre anomalie en Rm 11,30-31: le schéma «jadis-maintenant" que Paul emploie d'habitude pour opposer le temps précédant la venue du Christ et celui d'après sa venue w n'a plus cette fonction ici. C'est l'histoire des païens qui est au service de l'opposition àr la désobéissance et de la miséricorde. Le verset 32 prouve qu'il s'agit de cette opposition 19.

Si l'on cherche le sens de l'adverbe de temps « maintenant » il faut noter le parallèle entre Rm 11,32 et 10,4. Les termes « miséri­corde » et « justice » se répondent. C'est la justice de Dieu que les juifs ont méconnue (10,3). Le « maintenant » est donc identique à celui de l'annonce du kérygme (10,16-17). A partir de l'annonce de l'évangile de la justice par la foi, la situation des juifs et des païens, telle qu'elle résultait depuis le don de la Loi, est inversée.

Pour Paul la bonne nouvelle fut proposée à tous les juifs, mais ils la refusèrent. Paul reprend ici la tradition de Mt 22,1-10. De même que tous les païens avaient été invités à accepter la Loi et que seul Israël l'a acceptée, de même Israël fut sollicité d'accepter l'évangile. A cause de son refus les païens obtinrent miséricorde. On se rappelle que le targum de Dt 33,2-3 avait souligné la déso­béissance des païens, mais également la miséricorde de Dieu. De plus, le targum Dt 33,5 avait annoncé la venue d'un roi d'entre ceux de la maison de Jacob â qui toutes les tribus obéiraient. Paul associe de la même façon désobéissance et miséricorde. Il renvoie la Synagogue à ses propres traditions.

J. Jeremias ^ avait déjà noté que Paul s'inspire en Rm 10-11 du chapitre 32 du Dt: en 10,6-8 il cite Dt 30,11-24; en 11,8 il cite Dt 29,3 et en 12,19 il cite Dt 32,25. Il ne serait pas surprenant qu'en 11,30-31 il se réfère à la tradition synagogale de Dt 33,2.

De même que Mt 22,1-10 avait présenté l'obéissance des païens sur l'arrière-fond de la désobéissance des juifs, Rm 11,30-31 suit la version du targum Dt 33,2-5 qui met l'accent sur l'obéissance d'Israël et sur l'amour de Dieu pour son peuple dans un premier temps, puis sur l'obéissance des païens et la miséricorde qui sera manifestée à Israël.

La brève étude qui précède permet d'entrevoir ce que fut le dia­logue entre juifs et chrétiens à la fin du premier siècle. Les tensions sans cesse croissantes entre la Synagogue et la communauté chré­tienne d'origine juive aboutiront, on le sait, à la rupture totale. La communauté chrétienne devant se défendre aura recours plus d'une fois à l'ironie et contestera l'interprétation de la loi faite par les rabbins21. La loi orale qui accompagnait la loi écrite ne sera pas retenue par la communauté chrétienne.


 
 
 
 
 
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